Denis Lalanne
DENIS LALANNE, LE TENNIS AU CŒUR…
Écrivain, reporter, chantre inoubliable du tennis, du rugby et du golf, Denis Lalanne a donné son nom à un prix éponyme qui consacre chaque année le meilleur article de presse écrit en langue française pendant le tournoi de Roland-Garros…
Ah ! ce temps béni où l’on trouvait du Lalanne dans L’Équipe le matin… Temps béni et opiniâtre, empressons-nous de le dire, car l’intéressé a persévéré une quarantaine d’années. Précisément, il a commencé à signer dans le quotidien du Faubourg-Montmartre en 1954, après douze mois passés au rond-point des Champs-Élysées, sous les couleurs du Figaro. À l’époque, sans doute n’imaginait-il pas que son aventure se prolongerait jusqu’en 1992 : il n’avait aucun plan de carrière, sinon l’idée vague des bontés de l’existence. « Partir en reportage à Roland-Garros ou à Colombes, conduit par un chauffeur maison dans une traction avant du Figaro, Dieu sait si cela pouvait donner le “sens du confortable” à un plumitif frais débarqué du fond de sa Gascogne », avouerait-il un jour1. Car tout avait démarré dans le sud-ouest. Ses premiers articles ? Le tribunal correctionnel de Tarbes, les poules du championnat de rugby, les traditionnels chiens écrasés. Puis, soudain, pour ses lecteurs de L’Éclair des Pyrénées, cette affaire effroyable : dans le sombre d’une masure, au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale, un couple d’assassins faisant disparaître de paisibles retraités ! Piège et meurtre, avant un démembrement systématique et le bain de soude caustique ! Bref ! l’horreur sous son aspect le plus sordide… Denis Lalanne en rendit compte, tenant sa chronique comme on mène une enquête, avec tact, avec force. Il était lancé…
La suite s’écrivit donc au Figaro, à partir de 1953. Notre Béarnais, né à Pau le 1er avril 1926, avait été recruté pour remplir la page sportive, une rubrique alors très méprisée des rédacteurs en chef. Pourtant, son étoile devait s’y lever, et même briller, ce qui lui valut un nouveau transfert, cette fois vers les colonnes de L’Équipe, organe fondé par Jacques Goddet, le directeur du Tour de France et du Parc des Princes. En d’autres termes, une bible, éditée sur papier jaune avec la certitude que l’avenir appartiendrait bientôt à la civilisation des loisirs, et que celle-ci, désertant les théâtres, s’enracinerait dans les stades… D’où l’importance de toujours dépêcher les meilleurs reporters, non seulement aux Jeux olympiques ou sur le Galibier, mais aussi à Roland-Garros, à Wimbledon, à Forest Hills et en Australie — enfin, partout où le tennis, d’abord perçu telle une distraction de dandys, gagnait sa livrée de sport populaire. C’est ainsi qu’en 1955, pour la deuxième année consécutive, Denis Lalanne s’installa dans les tribunes, au-dessus des carrés de terre ocre, porte d’Auteuil. Une vie de rêve ? Certes. Mais, également, un épuisant marathon intellectuel puisque, seul envoyé spécial du principal quotidien sportif du monde, il rédigeait continûment des dizaines de papiers, portraits, interviews, échos, sans oublier son fameux « chapeau », c’est-à-dire un long article dans lequel il rendait, d’une plume vibrante, la charge émotionnelle de matchs achevés la nuit tombante. Après quoi, débutait en coulisse une autre partie, uniquement connue des initiés : la course au téléphone ! Parce qu’au temps dont nous parlons, celui des Trabert, Hoad et du jeune Rosewall, force était d’obtenir rapidement une ligne afin de dicter, à une sténodactylo, un texte écrit à la main, et aussitôt mis sous presse ! Avec l’aboutissement que l’on devine : une prose rythmée, enlevée, subtilement typique et inimitable, chaude comme un vin de pays. « Tenez, Micheline. Aujourd’hui, vous avez un bon Lalanne en rubrique tennis… »2 Puis l’admirateur, Jacques Chaban-Delmas, Premier ministre et maire de Bordeaux, de tendre L’Équipe à son épouse… C’était à l’entame des saisons soixante-dix, après le Général et après Rod Laver. Sautant avec un pareil bonheur du tennis au rugby, du rugby au golf, Denis Lalanne, salué par le Grand Prix de littérature sportive en 1959 pour Le Grand combat du XV de France, puis par le Prix Martini du meilleur article sportif trois ans plus tard, s’était discrètement coulé dans la peau d’un monstre sacré.
Ses mérites ? Son style, bien sûr. Et son rare éclectisme, qui le faisait si savant, si indispensable. On sait comment Jacques Goddet considérait Pierre Chany, l’alter ego de la rubrique « Cyclisme » : « Un sacré animal de métier, mu par une exceptionnelle conscience dans l’exercice du devoir professionnel »3. Eh bien ! le compliment vaut exactement pour Denis Lalanne, lequel continua de régaler longtemps, d’une éblouissante chronique, les lecteurs de Midi Olympique. Ce qui nous impose de reconnaître ici que le chantre de Roland-Garros conserve une inclination pour le ballon ovale, ses règles, son histoire et ses hommes. En somme, la marque d’un esprit ouvert, sensible, curieux, indiscutablement né pour cette incomparable mission que doit demeurer le reportage écrit — et ceci davantage au siècle de l’image, d’internet et de l’information multipliée… N’est-ce pas, du reste, ce que pressentait l’académicien Angelo Rinaldi : « Denis Lalanne était à part. Je ne lisais L’Équipe que pour lui et la chaleur humaine qui le caractérise. »4
Et puis, quelle science ! Nul doute qu’elle ne lui soit venue peu à peu, à force de patience, d’observation, de travail, de présence sur les courts, de confidences dans les vestiaires. Le résultat fut une puissance d’analyse souvent inégalée, dont on retrouve l’écho dans cette brève envolée : « Oh ! herbe torride du rugby, fraîche pelouse des courts et des greens, santé et parfum de l’herbe… Un miracle du gazon, par exemple, était de donner grâce et détente à un tennis féminin qui galérait sur terre battue, du moins jusqu’à l’avènement de la raquette légère et du jeu à deux mains. »5 Oui, tout semblait dit de l’essentiel, un rien de joie blondinienne en prime… Et l’on comprend mieux, maintenant, pourquoi cet esthète regrette encore la défaite de John McEnroe en 1984, usé le dernier soir en cinq sets (3-6, 2-6, 6-4, 7-5, 7-5) par Ivan Lendl. « Il incarnait à mes yeux le génie du tennis. Son art, ses volées basses, sa vitesse d’exécution, même sur terre battue. L’idée qu’il ne figure pas au palmarès de Roland-Garros me serre toujours le cœur… »6
Il faut le répéter après Angelo Rinaldi ; il faut en témoigner avec Antoine Blondin, son inclassable ami d’une non moins inclassable jeunesse : tout magistral qu’il fût, Denis Lalanne, journaliste, n’a jamais manqué de cœur ! S’il put si bien écrire, c’est parce qu’il a sincèrement aimé — aimé les joueurs et le jeu, aimé Roland-Garros, l’information, la langue de Molière… Aussi voulons-nous, aujourd’hui, regarder comme un juste retour du temps la création d’un prix éponyme : le Prix Denis Lalanne – Trophée Roland-Garros, organisé, avec le soutien financier de la Fédération française de tennis, pour « récompenser chaque année le meilleur article de presse écrit en langue française pendant et sur le tournoi de Roland-Garros »7. Preuve, méritée, d’une destinée accomplie, où l’amour du sport et des siens aura beaucoup compté. Preuve d’une reconnaissance professionnelle unanime. Preuve, enfin, d’un événement planétaire qui nous murmure sagement que la mémoire et les chantres sont sources d’avenir.
Christophe Penot
Fondateur et organisateur
du Prix Denis-Lalanne